DANIEL DEFOE
Robinson Crusoé (1719)
Robinson Crusoé (1719)
Robinson Crusoé est un roman d'aventures anglais de Daniel Defoe (1660-1731), publié en 1719. L'histoire, qui s'inspire librement de la vie d'Alexander Selkirk, est racontée à la première personne. Elle se déroule sur une île déserte à l’embouchure de l’Orénoque, près des côtes vénézuéliennes, où Robinson, après avoir fait naufrage, y vivra pendant vingt-huit ans. Au cours de son séjour, il rencontre un « sauvage » qu’il nomme Vendredi, et les deux compagnons passeront plusieurs années ensemble avant de quitter l’île.
Le roman raconte la survie d’un naufragé sur une île déserte, où il doit inventer des solutions techniques pour subvenir à ses besoins. Robinson Crusoé, le personnage principal, incarne l’ingéniosité humaine. Face à l’adversité et à l’isolement, il utilise ses compétences pratiques et sa créativité pour survivre. L’un des aspects clés du roman est sa manière d’adapter l’environnement à ses besoins, en utilisant les ressources naturelles pour construire des abris, fabriquer des outils, cultiver des récoltes et dompter la nature pour y vivre.
Ces actions d'ingénierie improvisée, bien que non présentées sous forme technique, illustrent des principes d'ingénierie appliquée à la survie. De façon plus large, le roman aborde les thèmes de la maîtrise de la nature, de la création de solutions face à des problèmes complexes, et de la transformation du monde naturel en quelque chose de plus utile et familier, des concepts essentiels à l’ingénierie. Il met en lumière l'esprit d'un ingénieur, qui, par réflexion et innovation, transforme les défis en opportunités.
Je reconnus d’abord que le lieu où j’étais n’était pas convenable pour mon établissement. Particulièrement, parce que c’était un terrain bas et marécageux, proche de la mer, que je croyais ne pas devoir être sain, et plus particulièrement encore parce qu’il n’y avait point d’eau douce près de là. Je me déterminai donc à chercher un coin de terre plus favorable.
Je devais considérer plusieurs choses dans le choix de ce site : 1° la salubrité, et l’eau douce dont je parlais tout à l’heure ; 2° l’abri contre la chaleur du soleil ; 3° la protection contre toutes créatures rapaces, hommes ou bêtes ; 4° la vue de la mer, afin que si Dieu envoyait quelque bâtiment dans ces parages, je pusse en profiter pour ma délivrance ; car je ne voulais point encore en bannir l’espoir de mon cœur.
En cherchant un lieu qui réunît tous ces avantages, je trouvai une petite plaine située au pied d’une colline dont le flanc, regardant cette esplanade, s’élevait à pic comme la façade d’une maison, de sorte que rien ne pouvait venir à moi de haut en bas. Sur le devant de ce rocher, il y avait un enfoncement qui ressemblait à l’entrée ou à la porte d’une cave ; mais il n’existait réellement aucune caverne ni aucun chemin souterrain.
Ce fut sur cette pelouse, juste devant cette cavité, que je résolus de m’établir. La plaine n’avait pas plus de cent verges de largeur sur une longueur double, et formait devant ma porte un boulingrin qui s’en allait mourir sur la plage en pente douce et irrégulière. Cette situation était au Nord-Nord-Ouest de la colline, de manière que chaque jour j’étais à l’abri de la chaleur, jusqu’à ce que le soleil déclinât à l’Ouest quart Sud, ou environ ; mais, alors, dans ces climats, il n’est pas éloigné de son coucher. Avant de dresser ma tente, je traçai devant le creux du rocher un demi-cercle dont le rayon avait environ dix verges à partir du roc, et le diamètre vingt verges depuis un bout jusqu’à l’autre.
Je plantai dans ce demi-cercle deux rangées de gros pieux que j’enfonçai en terre jusqu’à ce qu’ils fussent solides comme des pilotis. Leur gros bout, taillé en pointe, s’élevait hors de terre à la hauteur de cinq pieds et demi ; entre les deux rangs il n’y avait pas plus de dix pouces d’intervalle.
Je pris ensuite les morceaux de câbles que j’avais coupés à bord du vaisseau, et je les posai les uns sur les autres, dans l’entre-deux de la double palissade, jusqu’à son sommet. Puis, en dedans du demi-cercle, j’ajoutai d’autres pieux d’environ deux pieds et demi, s’appuyant contre les premiers et leur servant de contrefiches.
Cet ouvrage était si fort que ni homme ni bête n’aurait pu le forcer ni le franchir. Il me coûta beaucoup de temps et de travail, surtout pour couper les pieux dans les bois, les porter à pied d’œuvre et les enfoncer en terre.
(traduction de Pétrus Borel,Borel et Varenne, 1836)