HERMAN MELVILLE
Moby-Dick (1851)
Moby-Dick (1851)
Herman Melville (1819-1891) est l'un des auteurs les plus célèbres du XIXe siècle, surtout connu pour son roman Moby-Dick, publié en 1851. Ce roman est considéré comme une œuvre maîtresse de la littérature américaine et est une profonde réflexion sur la nature de l'obsession, du destin et de l'existence humaine. Il raconte l’histoire du narrateur Ishmael, qui se joint à un navire baleinier, le Pequod, dirigé par le capitaine Achab. Ce dernier est obsédé par la traque de la baleine blanche Moby Dick, un monstre légendaire qu’il considère comme l'incarnation du mal. Melville explore les limites de la technologie humaine dans un univers indomptable.
Moby-Dick a longtemps été interprétée comme une métaphore complexe de nombreux thèmes : la lutte entre l'homme et la nature, l'obsession destructrice, et la quête de sens dans un monde chaotique et incompréhensible. Le roman est aussi une exploration des relations humaines, de la hiérarchie sociale à bord du navire, et de la confrontation avec l'inconnu.
Dans Moby-Dick, Melville utilise une quantité impressionnante de détails techniques et scientifiques sur la chasse à la baleine et les instruments maritimes. Les baleiniers et leurs harpons mécaniques deviennent des symboles de l’affrontement entre l’homme et la nature.
Le récit interroge la responsabilité de l’ingénieur face à l’exploitation de la nature.
Chapitre 134
Achab avait raison, dans l'impétuosité de leur impatience, les hommes avaient pris autre chose pour souffle, comme on l'allait voir, car à peine Achab avait-il atteint son perchoir, à peine l'estrope était-elle amarrée au cabillot du pont qu'il donna l'accent tonique d’un orchestre qui retentit comme une décharge d'artillerie. Trente poumons de cuir lancèrent ensemble un cri de triomphe cependant que — beaucoup plus près du navire que le souffle imaginaire, à moins d'un mille sur l'avant — Moby Dick en personne apparut ! Et ce n'était pas par des souffles calmes et indolents, ni par le paisible jaillissement de sa course mystique, que la Baleine blanche révéla sa présence, mais par le phénomène beaucoup plus étonnant du saut. Montant des profondeurs à sa plus extrême vitesse, le cachalot projette ainsi sa masse tout entière à l'air libre, et la montagne d'écume éblouissante qu'il a soulevée le dénonce à une distance de sept milles et plus. En de pareils moments, sur les vagues furieusement arrachées qu'il secoue, ce saut parfois est un défi.
– La voilà qui saute ! la voilà qui saute ! fut le cri qui accompagna les incommensurables bravades de la Baleine blanche se lançant vers le ciel comme un saumon. Si brusquement surgie dans la plaine bleue de la mer et projetée sur le bleu encore plus intense du ciel, l'écume qu'elle avait soulevée brilla de façon insupportable, aussi aveuglante qu'un glacier, puis son éblouissante intensité s'atténua progressivement jusqu'à n'être plus que la brume indistincte qui, dans la vallée, annonce une averse.
– Oui, accomplis ton dernier saut vers le soleil, Moby Dick ! s'écria Achab, ton heure est venue et ton harpon est prêt ! Tous en bas, sauf un homme au mât de misaine. Les baleinières ! Parés !
Dédaigneux des fastidieuses échelles de corde, les hommes, tels des étoiles filantes, glissèrent au pont par les galhaubans et les drisses, cependant que de manière moins foudroyante, quoique prompte, Achab était descendu de son perchoir.
– Les pirogues à la mer ! cria-t-il dès qu'il eut atteint la sienne, une baleinière de rechange gréée l'après-midi précédent. Monsieur Starbuck, le navire est à toi... tiens-toi à l'écart des pirogues, mais ne t'en éloigne pas non plus. Débordez tous !
(traduction Henriette Guex-Rolle, Garnier-Flammarion, 1989)