H.G. WELLS
La machine à voyager dans le temps (1895)
La machine à voyager dans le temps (1895)
Avec The Time Machine: An Invention, Herbert George Wells (1866-1946) signe un des grands classiques de la science-fiction, un des premiers romans à aborder des voyages dans le temps.L'intrigue se déroule à Londres, à l'extrême fin du XIXe siècle. Dans la maison d'un savant, un groupe d'amis écoute celui qui prétend être le premier voyageur du temps narrer ses aventures.
Chapitre II. La Machine
L’objet que l’Explorateur du Temps tenait à la main était une espèce de mécanique en métal brillant, à peine plus grande qu’une petite horloge, et très délicatement faite. Certaines parties étaient en ivoire, d’autres en une substance cristalline et transparente.
Il me faut tâcher maintenant d’être extrêmement précis, car ce qui suit — à moins d’accepter sans discussion les théories de l’Explorateur du Temps — est une chose absolument inexplicable. Il prit l’une des petites tables octogonales disséminées dans la pièce et il la plaça devant la cheminée, avec deux de ses pieds sur le devant du foyer. Sur cette table il plaça son mécanisme. Puis il approcha une chaise et s’assit.
Le seul autre objet sur la table était une petite lampe à abat-jour dont la vive clarté éclairait en plein la machine. Il y avait là aussi une douzaine de bougies, deux dans des appliques, de chaque côté de la cheminée, et plusieurs autres dans des candélabres, de sorte que la pièce était brillamment illuminée. Je m’assis moi-même dans un fauteuil bas, tout près du feu, et je l’attirai en avant, de façon à me trouver presque entre l’Explorateur du Temps et le foyer. Filby s’était assis derrière lui, regardant par-dessus son épaule. Le Docteur et le Maire de province l’observaient par côté et de droite ; le Psychologue, de gauche. Le Très Jeune Homme se tenait derrière le Psychologue. Nous étions tous sur le qui-vive. Il semble incroyable qu’un truc quelconque, aussi subtilement conçu et adroitement opéré fût-il, ait pu nous jouer dans ces conditions.
L’Explorateur du Temps nous regarda tour à tour, puis il considéra sa machine.
— Eh bien ? dit le Psychologue.
— Ce petit objet n’est qu’une maquette, dit l’Explorateur du Temps en posant ses coudes sur la table et joignant ses mains au-dessus de l’appareil. C’est le projet que j’ai fait d’une machine pour voyager à travers le Temps. Vous remarquerez qu’elle a l’air singulièrement louche, et que cette barre a un aspect bizarrement brillant, en quelque sorte irréel — il indiqua la barre avec son doigt. —Voici encore ici un petit levier blanc, et là en voilà un autre.
Le Docteur se leva et examina curieusement la chose.
— C’est admirablement construit, dit-il.
— J’ai mis deux ans à la faire, répondit l’Explorateur du Temps. Puis, lorsque nous eûmes tous imité le Docteur, il continua : — Il vous faut maintenant comprendre nettement que ce levier, si on appuie dessus, envoie la machine glisser dans le futur, et que cet autre renverse le mouvement. Cette selle représente le siège de l’Explorateur du Temps. Tout à l’heure je presserai, le levier, et la machine partira. Elle s’évanouira, passera dans les temps futurs et ne reparaîtra plus. Regardez-la bien. Examinez aussi la table et convainquez-vous qu’il n’y a ici aucune supercherie. Je n’ai pas envie de perdre ce modèle pour m’entendre ensuite traiter de charlatan.
(traduction par Henry D. Davray, Mercure de France, 1898)