MIGUEL BONNEFOY
L’inventeur (2022)
L’inventeur (2022)
En 2009, Miguel Bonnefoy remporte le Grand Prix de la Nouvelle de la Sorbonne avec La Maison et le Voleur. La même année, il publie Quand on enferma le labyrinthe dans le Minotaure (edizione del Giano, Rome). En 2011, Naufrages (éditions Quespire) est remarqué au Prix de l’Inaperçu 2012. En 2013, il est récompensé par le Prix du Jeune Ecrivain avec Icare et autres nouvelles (Buchet-Chastel). En 2015, Le Voyage d’Octavio (Rivages) est finaliste du Prix Goncourt du Premier Roman, et reçoit le Prix de la Vocation, le Prix des Cinq Continents – Mention Spéciale, le Prix Fénéon, le Prix Edmée de la Rochefoucauld et le Prix L’Île aux Livres. En 2016, Jungle (éditions Paulsen) se voit remettre le Prix des Lycéens et Apprentis d’Ile-de-France. En 2017, Sucre Noir (Rivages), est finaliste du Prix Femina, et reçoit le Prix Mille Pages, le Prix Renaissance et le Prix des lycéens de l’Escale du Livre de Bordeaux. En 2018-2019, il est pensionnaire à la Villa Médicis. En 2020, il publie Héritage (Rivages).
L'inventeur se déroule en France, milieu du XIXe siècle. Voici l’étonnante histoire d’Augustin Mouchot, fils de serrurier de Semur-en-Auxois, obscur professeur de mathématiques, devenu inventeur de l’énergie solaire grâce à la découverte d’un vieux livre dans sa bibliothèque. La machine qu’il construit et surnomme Octave séduit Napoléon III et recueille l’assentiment des autorités et de la presse. Elle est exhibée avec succès à l’Exposition universelle de Paris en 1878. Mais l’avènement de l’ère du charbon ruine ses projets que l’on juge trop coûteux. Après moult péripéties, dans un ultime élan, Mouchot tente de faire revivre le feu de sa découverte sous le soleil d’Algérie. Trahi par un collaborateur qui lui vole son brevet, il finit dans la misère, précurseur sans le savoir d’une énergie du futur.
Chapitre 1
Marius Buisson avait acquis ce logement après une vie de services auprès de la garde impériale. C’était un vieil officier de l’armée, né dans le siècle des philosophes, grand amateur de sciences, qui avait perdu une main lors de la prise d’Alger, un œil pendant le siège de Sébastopol, une jambe à la fin de la bataille de Malakoff et boitait de l’autre depuis qu’un cheval d’une demi-tonne s’était effondré sur son genou, dans les marécages de Crimée. Le jour de la victoire de Solférino, il avait été décoré de médailles coloniales et s’était acheté un bel appartement aux poutres apparentes, dans lequel il avait fait construire sur mesure une bibliothèque en bois de chêne, uniquement composée de littérature scientifique, où il avait prévu de passer ses dernières années. Mais il ne put en profiter car, un mois plus tard, au milieu de l’été, alors qu’il faisait des travaux de charpente, une poutre se détacha et, percutant la bibliothèque, l’écrasa comme un cafard au milieu de son salon. Il mourut sur le coup, après avoir survécu à tous les combats et à toutes les batailles, borgne et manchot, la tête aplatie sous des livres, la médaille de la campagne d’Italie plantée dans le cœur.
(...)
Ce premier jour, Mouchot ne s’approcha pas des livres. Le lendemain, il parcourut rapidement le dos des couvertures, l’air oisif, sans s’y attarder. Au bout d’une semaine, il feuilleta certains volumes et, quelques jours plus tard, il avait formé une pile sur sa table de chevet, dont un seul livre attira véritablement son attention. C’était un ouvrage de Claude Pouillet sur la chaleur solaire.
Cette lecture le plongea dans une série de curiosités autour du soleil. Seul dans son nouveau logement, où flottaient encore le fantôme du colonel Buisson et les oriflammes tachées des guerres étrangères, il apprit que des médecins italiens désinfectaient des plaies avec des rayons solaires concentrés, à l’aide de ballons d’eau en verre, et que l’astronome Cassini, en 1710, avait offert au Roi-Soleil un miroir qui pouvait fondre un morceau de fer en une heure.
(...)
Alors que Volta avait inventé la pile électrique, alors que Watt avait déposé son brevet sur la locomotive à vapeur, alors que Durand avait réalisé la première boîte de conserve, alors que Foucault avait fabriqué son pendule, alors que Darwin avait prouvé l’origine des espèces, Mouchot découvrait une moustache fine qui poussait lentement sous son nez, en guidon, pareille à une branche de vigne, et qu’il parfumait de musc et de poivre, persuadé que sa vie ne connaîtrait aucun remous.
(Payot, 2022)