Jules Verne (1828-1905) est souvent considéré comme l’un des pionniers de l’imaginaire technologique. À travers ses romans d’aventures et de science-fiction, il a anticipé des inventions et des découvertes qui deviendraient réalité bien après sa mort.
Verne n’était pas un inventeur au sens propre, mais il possédait une intuition et une curiosité scientifique qui l’ont amené à imaginer des machines et des technologies qui semblaient alors fantastiques.
Jules Verne s’inspirait des avancées scientifiques du XIXe siècle, une époque marquée par la révolution industrielle et les grandes découvertes. Il lisait les publications scientifiques et échangeait avec des ingénieurs, s’appuyant sur ces connaissances pour créer des récits à la frontière du plausible et du fantastique. Le Nautilus préfigure les sous-marins modernes bien avant que la technologie n’existe. Verne imagine un sous-marin fonctionnant à l’électricité, une idée révolutionnaire à l’époque.
Le sous-marin Nautilus, piloté par le capitaine Nemo, annonce les sous-marins électriques du XXe siècle.
Chapitre XIII, Quelques chiffres
Le capitaine mit sous mes yeux une épure qui donnait les plans, coupe et élévation du Nautilus. Puis il commença sa description en ces termes :
« Voici, monsieur Aronnax, les diverses dimensions du bateau qui vous porte. C'est un cylindre très allongé, à bouts coniques. Il affecte sensiblement la forme d'un cigare, forme déjà adoptée à Londres dans plusieurs constructions du même genre. La longueur de ce cylindre, de tête en tête, est exactement de soixante-dix mètres, et son bau, à sa plus grande largeur, est de huit mètres. Il n'est donc pas construit tout à fait au dixième comme vos steamers de grande marche, mais ses lignes sont suffisamment longues et sa coulée assez prolongée, pour que l'eau déplacée s'échappe aisément et n'oppose aucun obstacle à sa marche.
« Ces deux dimensions vous permettent d'obtenir par un simple calcul la surface et le volume du Nautilus.
Sa surface comprend mille onze mètres carrés et quarante-cinq centièmes; son volume, quinze cents mètres cubes et deux dixièmes — ce qui revient à dire qu'entièrement immergé, il déplace ou pèse quinze cents mètres cubes ou tonneaux.
« Lorsque j'ai fait les plans de ce navire destiné à une navigation sous-marine, j'ai voulu qu'en équilibre dans l'eau il plongeât des neuf dixièmes, et qu'il émergeât d'un dixième seulement. Par conséquent, il ne devait déplacer dans ces conditions que les neuf dixièmes de son volume, soit treize cent cinquante-six mètres cubes et quarante-huit centièmes, c'est-à-dire ne peser que ce même nombre de tonneaux. J'ai donc dû ne pas dépasser ce poids en le construisant suivant les dimensions susdites.
« Le Nautilus se compose de deux coques, l'une intérieure, l'autre extérieure, réunies entre elles par des fers en T qui lui donnent une rigidité extrême. En effet, grâce à cette disposition cellulaire, il résiste comme un bloc, comme s'il était plein. Son bordé ne peut céder ; il adhère par lui-même et non par le serrage des rivets, et l'homogénéité de sa construction, due au parfait assemblage des matériaux, lui permet de défier les mers les plus violentes.
« Ces deux coques sont fabriquées en tôle d'acier dont la densité par rapport à l'eau est de sept, huit dixièmes. La première n'a pas moins de cinq centimètres d'épaisseur, et pèse trois cent quatre-vingt-quatorze tonneaux quatre-vingt-seize centièmes. La seconde enveloppe, la quille, haute de cinquante centimètres et large de vingt-cinq, pesant, à elle seule, soixante-deux tonneaux, la machine, le lest, les divers accessoires et aménagements, les cloisons et les étrésillons intérieurs, ont un poids de neuf cent soixante et un tonneaux soixante-deux centièmes, qui, ajoutés aux trois cent quatre-vingt-quatorze tonneaux et quatre-vingt-seize centièmes, forment le total exigé de treize cent cinquante-six tonneaux et quarante-huit centièmes. Est-ce entendu ?
Dans L'Île mystérieuse, cinq naufragés, dirigés par l'ingénieur Cyrus Smith, se retrouvent sur une île déserte après un accident aéronautique. Ils doivent non seulement survivre, mais aussi transformer l'île en un lieu habitable en utilisant les principes de l'ingénierie et de la science disponibles à l’époque. Leur quête est centrée sur l’exploitation des ressources naturelles de l’île pour créer des infrastructures, notamment en construisant un abri, un moyen de transport, une centrale électrique rudimentaire, et même une usine de production de nitroglycérine.
Le roman regorge de détails techniques sur des procédés de fabrication, des expérimentations scientifiques, et l’utilisation de technologies primitives mais ingénieuses.
Le personnage principal, Cyrus Smith, incarne l’ingénieur idéal, capable de résoudre des problèmes pratiques grâce à une combinaison de connaissances scientifiques et de ressources limitées. Il représente l’ingénieur de l’époque victorienne, formé à une éthique du progrès et de l’innovation. En outre, son rôle dans la création d’un «_nouveau monde_» sur l’île mystérieuse peut être vu comme une réflexion sur la manière dont l’ingénierie et la science peuvent remodeler l'environnement, mais aussi sur la responsabilité qui incombe à ceux qui détiennent ces savoirs.
Le roman soulève également des questions intéressantes sur l’usage de la technologie. Bien que les personnages réussissent grâce à leurs connaissances, l’île devient aussi un lieu où les avancées techniques se heurtent aux mystères de la nature et à des éléments surnaturels (comme le volcan actif, les phénomènes inexpliqués, etc.).
Première partie, chapitre XVII
Le lendemain, 8 mai, l'ingénieur commença ses manipulations. Ces pyrites schisteuses étant composées principalement de charbon, de silice, d'alumine et de sulfure de fer - celui-ci en excès -, il s'agissait d'isoler le sulfure de fer et de le transformer en sulfate le plus rapidement possible. Le sulfate obtenu, on en extrairait l'acide sulfurique.
C'était en effet le but à atteindre. L'acide sulfurique est un des agents les plus employés, et l'importance industrielle d'une nation peut se mesurer à la consommation qui en est faite. Cet acide serait plus tard d'une utilité extrême aux colons pour la fabrication des bougies, le tannage des peaux, etc., mais en ce moment, l'ingénieur le réservait à un autre emploi.
Cyrus Smith choisit, derrière les Cheminées, un emplacement dont le sol fût soigneusement égalisé.
Sur ce sol, il plaça un tas de branchages et de bois haché, sur lequel furent placés des morceaux de schistes pyriteux, arcboutés les uns contre les autres; puis, le tout fut recouvert d'une mince couche de pyrites, préalablement réduites à la grosseur d'une noix.
Ceci fait, on mit le feu au bois, dont la chaleur se communiqua aux schistes, lesquels s'enflammèrent, puisqu'ils contenaient du charbon et du soufre. Alors, de nouvelles couches de pyrites concassées furent disposées de manière à former un énorme tas, qui fut extérieurement tapissé de terre et d'herbes, après qu'on y eut ménage quelques évents, comme s'il se fût agi de carboniser une meule de bois pour faire du charbon.
Puis, on laissa la transformation s'accomplir, et il ne fallait pas moins de dix à douze jours pour que le sulfure de fer fût changé en sulfate de fer et l'alumine sulfate d'alumine, deux substances également solubles, les autres; silice, charbon brûlé et cendres, ne l'étant pas.
Pendant que s'accomplissait ce travail chimique, Cyrus Smith fit procéder à d'autres opérations. On y mettait plus que du zèle. C'était de l'acharnement.
Nab et Pencroff avaient enlevé la graisse du dugong, qui avait été recueillie dans de grandes jarres de terre.
Cette graisse, il s'agissait d'en isoler un de ses éléments, la glycérine, en la saponifiant. Or, pour obtenir ce résultat, il suffisait de la traiter par la soude ou la chaux. En effet, l'une ou l'autre de ces substances, après avoir attaqué la graisse, formerait un savon en isolant la glycérine, et c'était cette glycérine que l'ingénieur voulait précisément obtenir. La chaux ne lui manquait pas, on le sait ; seulement le traitement par la chaux ne devait donner que des savons calcaires, insolubles et par conséquent inutiles, tandis que le traitement par la soude fournirait, au contraire, un savon soluble, qui trouverait son emploi dans les nettoyages domestiques.
Or, en homme pratique, Cyrus Smith devait plutôt chercher à obtenir de la soude. Était-ce difficile ? Non, car les plantes marines abondaient sur le rivage, salicornes, ficoïdes, et toutes ces fucacées qui forment les varechs et les goémons. On recueillit donc une grande quantité de ces plantes, on les fit d'abord sécher, puis ensuite brûler dans des fosses en plein air. La combustion de ces plantes fut entretenue pendant plusieurs jours, de manière que la chaleur s'élevât au point d'en fondre les cendres, et le résultat de l'incinération fut une masse compacte, grisâtre, qui est depuis longtemps connue sous le nom de « soude naturelle ».
Ce résultat obtenu, l'ingénieur traita la graisse par la soude, ce qui donna, d'une part, un savon soluble, et, de l'autre, cette substance neutre, la glycérine.
Mais ce n'était pas tout. Il fallait encore à Cyrus Smith, en vue de sa préparation future, une autre substance, l'azotate de potasse, qui est plus connu sous le nom de sel de nitre ou de salpêtre.
Cyrus Smith aurait pu fabriquer cette substance, en traitant le carbonate de potasse, qui s'extrait facilement des cendres des végétaux, par de l'acide azotique. Mais l'acide azotique lui manquait, et c'était précisément cet acide qu'il voulait obtenir, en fin de compte. Il y avait donc là un cercle vicieux, dont il ne fût jamais sorti. Très heureusement, cette fois, la nature allait lui fournir le salpêtre, sans qu'il eût d'autre peine que de le ramasser. Harbert en découvrit un gisement dans le nord de l'île, au pied du mont Franklin, et il n'y eut plus qu'à purifier ce sel.